Le collectif, lieu privilégié d’accueil de la fragilité

Plus que tout, la fragilité interroge la place de l’individu dans le collectif. Elle offre l’opportunité de distinguer deux entités, souvent confondues, qui fonctionnent différemment : le groupe et le collectif. M’interrogeant sans cesse sur ces deux réalités à l’œuvre dans les sphères privée et professionnelle, et

Le collectif, lieu privilégié d’accueil de la fragilité

Article de Nicole GUIDICELLI www.nicoleguidicelli.com d’après une conversation avec Andrée Herbin, psychanalyste et philosophe

Plus que tout, la fragilité interroge la place de l’individu dans le collectif. Elle offre l’opportunité de distinguer deux entités, souvent confondues, qui fonctionnent différemment : le groupe et le collectif. M’interrogeant sans cesse sur ces deux réalités à l’œuvre dans les sphères privée et professionnelle, et sur leur capacité à intégrer la fragilité, j’ai questionné Andrée Herbin, psychanalyste et philosophe. Son éclairage nous renvoie à une conscience de ce qui se joue dans la relation à l’autre. De l’exclusion à l’inclusion, de l’altruisme à l’altérité, voyage au pays de nous-mêmes et des autres.

La différence entre le groupe et le collectif 

L’humain est un être social, il a besoin d’être en relation et tend primitivement à se regrouper pour vivre. Il obéit à des codes et à des normes : ce qu’il faut faire ou être pour faire partie du groupe, pour y rester, ne pas en être exclu. Chacun se conduit, consciemment ou inconsciemment, par rapport à ces codes. C’est la loi du clan : Suis-je assez bien pour ce groupe ? S’aimer, être aimé, se ressembler, être conforme : les relations y obéissent à des intérêts psycho-affectifs. Chacun y cherche sa place, certains y trouveront celle de leader.

Le collectif relève d’une réalité très différente. C’est un espace organisé qui tend à la collaboration, une démarche qui vise à construire du commun autour d’une intention : que veut-on créer ensemble ? C’est un lieu de relation où chacun peut avoir sa place avec sa singularité. La sécurité émane alors du « être seul et ensemble ». Chacun n’occupe que sa propre place, ni plus, ni moins, sans se défausser sur l’autre, tout en restant dans la relation. Le collectif n’existe pas de manière naturelle, il faut le créer. Un tel processus nécessite un guide qui, âprement, tient le chacun qui construit le collectif dans le respect et hors des conflits et des jeux de pouvoir.

Le collectif permet de cheminer, ensemble, vers une conscience de l’altérité

Le collectif est un chemin en commun. Chacun y est avec l’autre à partir de ses ressources propres, qu’il met au service du collectif. C’est un processus créatif au service d’une intention. Le collectif peut accueillir la fragilité, car ce qui s’y travaille, c’est la façon dont on passe de l’altruisme à la conscience de l’altérité. L’altruisme consiste à s’occuper de l’autre, parfois au risque de faire à sa place, au nom de la charité ou de la compassion. Il peut aboutir à une catégorisation de l’individu (le pauvre, « l’handicapé », la femme, l’enfant, etc…), il y a d’un côté les plus forts et de l’autre les plus faibles.

Se rendre disponible à l’autre tel qu’il est

Je rencontre cet autre qui vit l’expérience de la fragilité dans son parcours de vie, sans pour autant l’y réduire. Cette fragilité, c’est la sienne, je ne peux la vivre à sa place, ni la prendre en charge. Lui porter attention, c’est le laisser faire son choix, son chemin. Car c’est d’abord cela, l’altérité : reconnaître que l’autre est un autre, à un niveau qui ne m’appartient pas et que je ne peux saisir, et le respecter inconditionnellement.

Ce qui me concerne, c’est comment je me rends disponible à l’autre tel qu’il est, sans projeter mes propres représentations sur lui. Peut-être que mon élan compassionnel, même s’il part d’un « bon sentiment », ne correspond pas à sa demande, ni à son besoin réel ? Mon chemin, c’est comment je me laisse « altérer », au sens littéral du terme, c’est-à-dire travailler, modifier par sa fragilité, et comment je me transforme à son contact. C’est ce que nous enseigne Jean Vanier, qui partage depuis des décennies le quotidien des personnes handicapées psychiques dans les communautés de l’Arche. Ou encore le père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, qui consacra toute son énergie à faire reconnaître des personnes en quête de dignité, à qui il reconnaissait une pensée et une expérience uniques, indispensables à la société.

La fragilité, une richesse pour le collectif 

Le collectif est le lieu de la solidarité, de la fraternité et de la créativité. Il engendre une fécondité personnelle et collective. S’enrichir les uns des autres, c’est accepter de se transformer. L’accueil d’une personne qui exprime une part fragile d’elle-même appelle chaque personne du collectif à bouger pour tenir compte de cette fragilité. Chacun va participer alors au collectif à partir de sa propre vulnérabilité. Celles-ci mises en commun deviennent le socle d’où émerge une force et non une surpuissance. Une colonne vertébrale n’est pas plus forte que sa vertèbre la plus faible.

Comment nous considérons la fragilité dans notre société

L’être humain est vulnérable et cette réalité est difficile à accepter. Comment sortir de la binarité qui oppose les forts et les faibles et créer de nouvelles alliances fécondes ? Il est illusoire de penser que la force d’une personne se résume à la bonne santé. La force, c’est bien autre chose, c’est ce qui émane d’un individu lorsqu’il est dans sa cohérence, son autonomie, sa pensée propre. Il se dégage une puissance considérable, insoupçonnée, chez des personnes fragilisées par les épreuves de la vie, qui pourtant démontrent des trésors d’imagination, des capacités d’adaptation étonnantes, une détermination sans faille face à la complexité de certaines situations. Partir de la fragilité pour construire du collectif nous fait changer de paradigme. La fragilité est un élément de transformation des individus et de la société, et les sociétés qui ne savent pas la prendre en compte sont des sociétés qui régressent.

Andrée Herbin est spécialiste de la dimension transgénérationnelle de la psyché. Aujourd’hui elle met son expertise au service des transformations individuelles et collectives à l’œuvre dans notre société en pleine mutation. Pour accompagner ces évolutions, elle transmet sa compréhension des processus complexes au cœur de collectifs pluridisciplinaires dans lesquels l’intelligence collective, la coopération et le croisement de différents points de vue permettent une fécondité. www.andreeherbin.com

Nicole Guidicelli est coach professionnel. Elle travaille sur l’engagement sociétal des entreprises au service de l’intérêt général, par le biais du mécénat ou des fondations. Elle accompagne aussi des personnes et des collectifs sur les questions de santé, handicap, différence et fragilité. www.nicoleguidicelli.com

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