Traverser les bouleversements du monde

Andrée HERBIN psychanalyste-psychopraticienne relationnelle ©titulaire du SNPpsy
Dans le cadre de la rencontre Antenne Bourgogne-Franche-Conté-Grand Est du SNPPSY

Constat : quels bouleversements ?

Notre époque se caractérise par une succession de crises qui s’empilent les unes sur les autres : crise climatique , écologique, économique, des valeurs , de la démocratie , le retour de la guerre sur notre continent ,avec une accélération exponentielle du temps, un foisonnement d’information de toutes sortes entendues pèle mêle, une complexité du monde et des interactions planétaires qui nous dépassent complétement.

Des changements majeurs de paradigmes, des ruptures importantes dans la continuité de nos conceptions du monde sont apparues de façon plus tangible dès le 19 ° siècle et surtout à une visite effrénée, bien que ces changements soient en route depuis le 17°/18° siècle.

Une de ces ruptures majeures qui entraine des changements profonds de conception du monde dont nous avons maintenant les effets dans le concret et dont nous n’avons pas fini de voir les conséquences est la dissociation opérée par les avancées de la science et de la technologie entre la reproduction et la production que ce soit dans la reproduction humaine, des espèces, des semences végétales .

D’autres liens de continuité se brisent dans le système économique avec un recul d’une croissance qui bénéficiait bon an mal an à tout un chacun avec l’espoir un avenir «meilleur».
L’avenir ne parait pas meilleur, il apparait même parfois comme pire !

Le lien générationnel est de ce fait lui aussi mis à mal autant du côté ascendant que descendant.

L’être humain en a pourtant vu d’autres depuis l’arrivée de son espèce il y a ¼ de million d’années sur une planète terre qui en avait déjà 4 milliards. Cependant le temps s’est considérablement accéléré depuis l’ère industrielle qui au regard de ce temps long vient juste d’arriver. Cependant les sociétés dites industrialisées ( 19°siècle) dont nous faisons partie consomment 32 fois plus et produisent 32 fois plus de déchets que les sociétés non industrialisées.

Le monde semble s’emballer dans sa course à une jouissance sans limite 1.

Une forme de saturation émotionnelle se met en place avec un réactivité très forte, un manque de recul, de discernement , une impossibilité à se parler, à s’écouter 2.

Un désarroi apparait devant la difficulté si ce n’est l’impossibilité à se poser, à s’entendre à construire ensemble des solutions.

Nous pourrions dire que nous sommes en burn-out généralisé tant nos systèmes d’adaptation sont débordés et nos seuils de tolérance largement dépassés.

Tel est la caractéristique du monde contemporain, à bout de souffle, ne pouvant arrêter sa course mortifère.

Nos cabinets ne sont pas à l’abri de ce malaise dans la civilisation ou dans la culture dont parlait déjà Freud 3 Le malaise dans la civilisation est inhérent à la condition humaine et au conflit entre liberté individuelle et contrainte collective ( cf. le conflit ça-moi-surmoi dégagé par Freud).

Le social nous le savons est imbriqué dans le personnel et vice et versa. Puisque dès notre naissance l’Autre est déjà là et nous nous construisons dans cette relation . Le psy écoute la subjectivité de l’époque qui vient bousculer ses manières de s’y prendre avec la demande du patient qui s’adresse à lui.

Cependant, la situation est inédite non seulement de part la globalisation de la crise, mais par le fait que les psys ne peuvent pas seulement observer, écouter, interpréter, théoriser à partir « du lit du patient » ce qui est le sens du mot clinique . Les cliniciens que nous sommes sont eux même en train de vivre la même situation.

Il nous faut donc impérativement prendre du recul pour pouvoir penser ce malaise contemporain, regarder comment nous sommes personnellement impactés et dégager un minimum notre subjectivité de notre posture de psychopraticien relationnel.
Plusieurs écueils nous guettent et guette la communauté psy :

  • psychologiser et pathologiser les réactions angoissées au « désastre »annoncé en les rangeant dans de nouveaux troubles du DSM : Eco-anxiété, dépression des jeunes etc…
  • nier dans ce qui se passe les tenants inconscients qui s’expriment dans le collectif et chez l’individu : pulsion de mort, autodestruction, refus de la loi, défenses spécifiques

Mettre au travail ce que ces bouleversements impliquent pour nos cliniques et théories s’impose.
Nous avons des points d’appui chez Freud et Lacan dans leur apport à la compréhension au malaise dans la civilisation . mais cela a été jusque-là occulté paradoxalement en ce qui concerne les bouleversements écologiques , sauf quelques psys courageux et intrépides qui s’y collent dont Harold Searles 4dès 1960 en mettant à jour les liens entre les humains et le monde non-humain et l’influence de celui-ci dans la construction de la psychè.

C’est plutôt le New-Age, la psychologie positive qui se sont saisi ces problématiques en avant-garde , avec des observations pertinentes et des propositions de solutions. Parfois ces

courants avancent des thèses et des solutions idéalisées et simplistes avec une tendance à ne pas considérer pas la négativité propre à l’humain qu’il se doit d’intégrer .
IL est de ce fait plus nécessaire que jamais pour le psychopraticien relationnel de s’interroger sur les différentes filiations théoriques et cliniques dont il est issu, de clarifier son propre métissage de pensée et de se placer dans sa propre anthropologie, conception de l’humain et de comment elle oriente notre clinique.
Je vous proposerai donc plusieurs interprétations de la situations suivant deux anthropologie principales :

  • celle de la psychologie positive, et cognitiviste qui s’appuie sur le fonctionnement neuronal et cérébral .
  • celle de la psychanalyse qui s’appuie sur l’écoute des processus inconscients.

Ces deux approches peuvent se contredirent mais elles peuvent aussi dialoguer pour ouvrir le champ de notre écoute même si ce n’est pas courant chez les praticiens.

Le SNPpsy est de ce point de vue un lieu privilégié de la possibilité de s’écouter et de s’enrichir mutuellement malgré nos différences conceptuelles et de filiation dans une friction créatrice et la pratique de la pensée complexe et transdisciplinaire .5

Je vais plus particulièrement m’intéresser à la crise écologique qui est massivement mise à l’écart de nos réflexions théoriques alors qu’elle engage la survie possible de notre écosystème et de notre humanité.

Une forme de déni à lever.

Dans un second temps nous verrons comment cette crise collective est vécue selon la structure de chaque individu ,son histoire et de là où il en est dans sa capacité à supporter la perte, l’imprévu.

Ensuite nous ouvrirons une réflexion commune à partir de notre propre subjectivité et de ce que nous entendons dans nos cabinets.

Une situation inédite : une accumulation de crises systémiques et la mise en péril de notre vie sue terre .
Ce choc avec le Réel engage le rapport de chacun à sa vulnérabilité, à sa mort, à la perte constitutives de la condition humaine.

Nous vivons la 6° extinction de masse 6de l’histoire planétaire. La différence avec les précédentes est qu’elle est très rapide et que nous la constatons sur 2 à 3 générations là ou les autres se déroulaient sur les milliers d’années et que nous arrivons peut être à un point de bascule , de seuil .

Elle nous met devant le fait que tout se déplace, s’adaptera ou disparaitra. En ce sens la connaissance des processus internes de la transformation est un savoir que le psychopraticien possède et peut mettre au service d’une compréhension de cette traversée.

Du point de vue de la psychologie positive et des thérapies neurocognitives, la réaction à ce bouleversement est nommé l’éco-anxiété7 tournée vers l’avenir , anxiété anticipatrice , légitime ( considérée par l’INSERM comme une réponse rationnelle et saine face à la gravité des problématiques environnementales) à différencier de la solastalgie8 concept forgé par Glenn Albrecht en 2000 tournée vers le passé avec impossibilité de supporter la perte.

Le défi va être d’apprendre à vivre avec cette détressez pour ne pas tomber dans la dépression ou le burn-out .
Cette anxiété est normale devant le constat de la réalité . elle n’est pas pathologique . les Eco-lucides sont inquiets et ce n’est pas une nouvelle pathologie.
Sommes-nous en danger ? il n’y a pas de réponse clair .

Devant ce danger perçu mais non reconnu explicitement , plusieurs systèmes de défenses vont s’activer pour maintenir le sentiment de sécurité qui n’est pas encore d’agir concrètement pour la sécurité réelle.

Elles permettent de « tamponner « le choc avec le Réel , de gagner du temps pour que le psychisme dans le meilleur des cas puisse intégrer l’information et produire des actions ajustées et vivantes pour y faire face et l’intégrer.

Elles tentent de maintenir l’équilibre mental et occulte ce qui terrifie .

• Le déni : je vais bien / tout va bien refus de voir la réalité en face .
• La panique : on est foutus , on va tous mourir
• La phobie : je ne peux plus bouger, tout est dangereux. Repli sur soi , à l’intérieur. Evitement des interactions avec toute altérité . c’est un état régressif .
• La paranoïa – haine de l’Autre ( le riche, le puissant , eux ): c’est un Autre qui me veut du mal, c’est un complot. Projection sur l’Autre qui devient responsable de ce qui se passe. tout est déjà écrit, déterminé. Défense devant l’imprévu puisque tout serait déjà programmé. paradoxalement rassure puisque j’identifie un mauvais objet .
l’apathie, la lassitude : je lâche l’affaire
haine de soi et de sa propre espèce – comportement suicidaire : décidément l’humain est le plus grand prédateur, finalement que tout cela disparaisse, la planète s’en remettra sans nous. Puisque c’est foutu alors accélérons le processus pour être débarrassé de cette angoisse.

Si le choc est trop violent, si la personne reste isolée sans aide , si les ressources internes sont trop fragiles il y a risque :

  • de fixation , ruminations, enfermement obsessionnel.

    Un mal être va s’installer :
  • problème de confiance en soi, problème d’humeur, hyperactivité émotionnelle, conduites d’évitement, conduites à risques , addictions. c’est le syndrome post traumatique avec pathologies somatiques possibles

Les croyances limitantes vont entrainer :

  • le désespoir : il n’y a pas de possibilités
  • l’impuissance : je ne me sens pas capable , il y a trop à faire
  • l’absence de valeur : je ne vaux rien
  • des dissonances cognitives : incohérences, paradoxes
  • un épuisement par « surchauffe « psychique et émotionnelle

Les différentes filiations théoriques et cliniques dont est issu Lorsque la personne ouvre les yeux, c’est le choc traumatique de la rencontre avec le Réel.

Le temps de la lucidité – rapport à la vérité :

Après un temps de sidération , mécanisme de protection pour survivre avec éventuellement des symptômes de dissociation ,et si le mouvement psychique se remet en route , les processus autonome d’auto-guérison vont entrer en action avec mécanismes d’adaptation, trouvaille , recherche de solutions ajustées.

Si nous ne sommes pas lucides nous ne pouvons rien faire.

Du point de vue d’une interprétation neurologique et cérébrale

Le cerveau a toujours la même structure depuis 300 000 ans . Il est mené par 5 motivations pour établir ou maintenir les conditions essentielles à la survie : chercher à manger, se reproduire, avoir un statut social, explorer, avoir de l’information .
Le striatum ( partie intérieure du cerveau régule la motivation et les impulsions) produit la dopamine , hormone du plaisir , de la récompense quand ces motivations ont une réponse satisfaisante . C’est le lieu de la décision et aussi des addictions .
Il y a combat entre des forces de destruction et des forces de restauration.
La réponse de ce champ de la psychologie sera de trouver des solutions comportementales

  • il va être question de chercher d’autres canaux de récompense que les réponses primaires ou addictives ( sublimation, transcendance, symbolique)
  • comment activer la plasticité cérébrale 9: trouver d’autres circuits . « nous sommes programmés pour ne pas être programmes » François Ansermet
  • Devenir actif : le mouvement est un remède

Face à l’angoisse, l’action , la recherche de solutions est le « médicament » et le fait de ne pas se savoir seuls , d’autres vivent la même angoisse .

  • Être entendus – pouvoir exprimer les émotions ressenties légitimes – Colère, peur, joie, tristesse en ne les jugeant pas , en ne s’identifiant pas à elles , mais en écoutant ce dont elles informent . Chaque émotion ayant une fonction de protection, de survie .Clarifier la temporalité des émotions, l’écho avec des situations passées de perte
  • Différencier la peur liée à un danger réel et actuel destiné à la protection de soi et des autres . différencier la menace phantasmatique, peur psychologique , archaïque .Sans peur pas de courage .
  • Discerner, s’informer, trier les informations. Ne pas croirez d’emblée .faire la part des choses . quitter les a priori, les croyances à l’emporte pièces ; prendre du recul pour penser avec d’autres . prendre une position « méta » .développer le doute constructif
  • Acceptation des limites : sur quoi est ce que je peux agir ?
  • Ne pas auto justifier et alimenter la colère qui est toujours une émotion secondaire qui prend racine dans une autre émotion (tristesse, honte, dégout ) . refuser la destruction et la violence comme solution.

En ce sens le lieu de la séance et le temps « long »de la thérapie érode la réactivité et installe une « patience » (il en faut au patient…)

  • revaloriser le conflit comme lieu de parole, d’écoute, de régulation qui est l’alternative au passage à l’acte . l’agressivité au service d’une cause n’est pas la violence contre quelque chose ou quelqu’un .
  • La complexité est telle que personne ne peut la penser dans sa globalité et concevoir toutes les interdépendances socio-politiques-économiques etc. Accepter que nous ne savons pas grand-chose est une marque d’intelligence et évite de se réfugier dans des opinons simplistes et simplifiantes . Oser la pensée complexe et le constat d’ignorance.
  • savoir différer et rester patient
  • nourrir le striatum : donner est plus source de plaisir que recevoir, s’engager dans des actions positives . forces de l’entraide
  • devenir témoin quand quelqu’un réagit, il sort les autres de la sidération .
  • sortir de la position de victime
  • être humbles
  • se ressourcer

Nous voyons que du côté de la psychologie positive – qui s’inscrit dans le mouvement de développement personnel , le New Age et le mouvement psy dit « du potentiel humain » ( école de Pao Alto)qui se sont emparés depuis plusieurs décennies de la situation ( mouvement hippie, beat génération -mouvement pour la paix- mouvements alternatifs etc…)-a fait un énorme travail de pensée et de propositions face à la situation.

Dans la conception de ce mouvement , c’est l’Amour qui est la solution , le point d’appui , la Nature est bonne, sacrée , les non-humains déteignent une Sagesse ancestrale et que ce sont certains humains si ce n’est la « nature humaine » qui sont cruels et prédateurs.

Il est présenté là plutôt l’image d’une Nature d’une bonne Mère (Gaïa) qui parce que nous nous sommes éloignés d’elle et de notre nature originellement bonne ( Jardin d’Eden) , nous sadiserions pour uniquement des questions de gros sous ou de tentations . Elle pourrait d’ailleurs se venger de façon autonome pour punir les humains de leurs fatales erreurs. Nous ne sommes pas loin d’un discours religieux.

Du point de vue de la psychanalyse

Cette conception passe sous silence les motivations inconscientes , négatives : angoisse, défenses , haine, pulsions de mort et désir de mort, non intégration de l’altérité etc.

Le point de vue de la psychanalyse peut nous éclairer sur les rapports de l’humain avec le non-humain et donner des points d’appuis non comportementalistes dans l’écoute des demandes et plaintes de certains patients.

Indépendamment des analyses économicopolitiques , marxistes qui attribuent aux « riches » et au capitalisme l’inertie générale la question se pose de comprendre les raisons inconscientes de l’immobilisme et du déni10.

Harold Searles psychanalyste, psychiatre
exerce à la clinique de Chestnut Lodge dans le Maryland , qui applique la thérapie analytique aux traitement des psychotiques dans la lignée de l’école hongroise de Sándor Ferenczi. Dès 1960, il théorise dans son livre l’environnement non-humain les rapports de l’humain avec le non-humain. Il met en évidence que l’identité humaine se construit « en parenté » avec le monde non-humain . il vient combler une lacune dans le champ de recherche de la psychanalyse qui ne s’occupait que des relations intra ou interpersonnelles .

Il avance que « l’élément non-humain de l’environnement de l’homme forme l’un des constituants les plus fondamentaux de la vie psychique »11.

Il questionne la psychanalyse : « Pourquoi n’a-t-on pas formulé jusqu’ici une théorie psychanalytique plus globale, une théorie qui prenne en compte l’homme non pas simplement dans son milieu humain mais dans son environnement total c’est-à-dire non-humain ? »12

Il avance la supposition que les psychanalystes comme les autres humains sont en prise avec l’angoisse que le sentiment de parentalité avec l’univers non-humain provoque à l’intérieur de soi , c’est pourquoi ils tardent à lui accorder l’importance qui lui revient.

Il revient sur la constitution primaire du nourrisson et que celui-ci ne perçoit pas comme distinct les personnes qui l’entourent dont sa mère . Son développement psychique va nécessiter l’acquisition d’une existence séparée. Ce processus ne concernerait pas uniquement le maternel , le premier Autre mais tout l’environnement objectal, non-humain.

Nous voyons que du côté de la psychologie positive, relayée par le mouvement de développement personnel et le New Age, qui s’est emparée depuis plusieurs décennies de la situation ( mouvement hippie, beat génération -mouvement pour la paix- mouvements alternatifs etc…)a fait un énorme travail de pensée et de propositions face à la situation.

Dans la conception de ce mouvement, c’est l’Amour qui est la solution , la Nature est bonne, sacrée , et que ce sont certains humains qui sont cruels et prédateurs. Ils nous est présenté là plutôt l’image d’une bonne mère que nous sadiserions pour uniquement des questions de gros sous.

S’appuyant sur sa clinique avec les psychotiques et leurs conscience floue des frontières entre dedans et dehors souvent dissoutes , Il théorise trois étapes :

  • être vivant en se distinguant du monde inanimé -objectal
  • être vivant et humain en se distinguant des mondes animés végétal, animal
  • être vivant et singulier en se distinguant des autres êtres humains.

« L’individu livre sa vie durant une lutte pour se différencier toujours plus totalement de la réalité humaine et non -humaine qui l’entoure, tout en nouant , à mesure qu’il y parvient , des liens de plus en plus chargés de sens avec cette même double réalité. »13

De là découle une peur de régresser à l’étape d’indifférenciation, de perdre son « je », de ne plus se sentir distincts des autres, de ne plus se sentir humains, ni vivants.

Cette menace nous pousserai à nous croire radicalement séparés et à ignorer le monde environnant. Nous luttons également contre notre nostalgie du ressenti initial supposé de totalité à jamais perdu.
La perte d’un élément de l’environnement peut être perçu par certaines personnes comme la perte d’un élément de soi , une mutilation du corps.

Pour Searles, cette maturation psychique s’accomplirait à l’intérieur d’une matrice globale constituée d’éléments humains et non-humains . L’enfant découvre la possibilité de son action sur le monde et à développer un environnement stable et sécure.

Un adulte mature peut assumer son statut d’humain face au monde non-humain avec un sentiment « d’apparentement » avec conscience d’une identité séparée et de l’impossibilité de se fondre dans le monde non-humain.

Searles étend l’angoisse du sujet en construction à l’attitude anthropocentrée de l’homme occidental qui grâce à la technique a pu s’assurer une suprématie sue la nature au risque que le retour du refoulé risque de le rendre inhumain.
Ce point permet de faire le lien avec les avancées théoriques de Freud et de Lacan sur nos motivations inconscientes.

La dialectique Eros et Thanatos-pulsions de vie /pulsions de mort . Les pulsions de mort nécessaires au maintien de la vie . Laisser partir ce dont le corps, la psyché n’a plus besoin pour vivre . accepter la perte, le déchet comme au service de la vie.

Explorer note ambivalence :
Dans malaise dans la culture Freud énonce les trois souffrances de l’être humain :

  • le rapport à son corps mortel et fragile
  • la surpuissance de la nature
  • les relations aux semblables

Ces trois dimensions mettent en évidence la fragilité de l’être humain, sa vulnérabilité et sa dépendance première . Le Hilfslosigkeit- détresse originaire14.

Face à cette détresse originaire, Freud avance que la culture représenterai la protection de l’homme contre la nature perçue comme surpuissante et dangereuse et qui règlementerait les relations des êtres humains entre eux : Que Voi ? de Lacan : qu’est que l’Autre me veut ? du bien ou du mal ?

L’angoisse du nourrisson , angoisses archaïques , peur de l’annihilation . L’appareil ,psychique tente de maitriser l’angoisse . et dans l’expérience de la séparation se déclenche une attente anxieuse.

La peur de l’effondrement ( cf. Winnicott) qui s’exprime chez l’adulte projeté sur l’avenir est en fait la survivance d’un effondrement qui a déjà eu lieu dans l’enfance . effondrement des illusions de parents tous puissants – à mettre en lien avec la position dépressive de Mélanie Klein . 15 ce ( breakdown) , agonies primitives qui sollicitent le psy à être capable d’avoir éprouvé ce qu’il y a de plus douloureux dans sa vie et à parvenir à une compréhension de lui -même vis-à-vis de ces expériences , pour pouvoir écouter les patients dans cette peur .(cf. l’exigence d’un travail thérapeutique approfondi dans les 5 critères du SNPpsy ).

Face à ces menaces, l’humain a mis en place plusieurs défenses collectives pour se protéger en place de rentrer dans le symbolique qui lui intègre la vulnérabilité comme un présupposé de la conditions humaine.

  • l’animisme : humaniser la nature -anthropomorphisme
  • la religion : la mort n’est pas une fin, il y a un au-delà . organisée selon un surmoi de mortification et de sacrifice : si je le mérite j’irai au paradis, je retournerai à la fusion première .
  • La science et la technique : protège de la cruauté de la nature et de l’absence des proches

En ce sens la psychanalyse a des points d’appuis cliniques et théoriques en tout cas intégrer la dimension de la négativité inconsciente comme interprétation possible dans la résistance au changement.

Benedicte Vidaillet psychanalyste et écologiste avance la possibilité d’une psychanalyse du désastre dans son livre récent « Pourquoi nous voulons tuer Greta ? »16
Elle propose un regard sur notre rapport à la nature loin d’une vision idyllique et simpliste :

  • notre peur profonde et archaïque de la nature comme ce qui fonctionne en dehors de notre volonté , ce qui échappe , ce qui atteint notre narcissisme : nous ne sommes pas tous puissants !
  • la vitalité menaçante de cette nature foisonnante qui se déploie sans nous dans une activité autonome .( cf. la menace du virus Covid 19 que personne ne comprenait et qui se développait à sa guise en nous colonisant ! d’où toutes les défenses paranoïaques qui se sont mises en place pour se protéger de cette angoisse d’intrusion – cf. les films de SF avec les intrusions de créatures vivantes et débordantes )
  • cette inquiétante étrangeté-altérité radicale ( cf. l’anthropomorphisme comme défense de rendre familier ce qui est étranger – pratiques chamaniques-animismes-entités etc. )

La peur inconsciente de la nature vient contrecarrer tout le discours qui appellerai à « protéger la nature » .

L’autre rhétorique est celle de la surpuissances supposée de la nature qui organise un déni quand à sa fragilité et à la destruction des écosystèmes dont nous dépendons : « elle s’en remettra toujours, elle est plus forte que nous , elle se vengera . création d’un entité à elle seule Gaïa )
L’homo faber apparait alors non pas seulement comme le produit du capitalisme et de la soif de pouvoir des puissants mais comme une tentative de vouloir achever le monde – pare angoisse d’un monde non-achevé. Comme une intervention sur la libido de la nature, une stérilisation de la matière ( séparation de la reproduction et de la production dans l’agriculture , dans la procréation dite assistée : toutes actions de prise de contrôle de la fécondité ) etc.

  • Le transhumanisme propose quant à lui de se séparer du vivant , de rompre avec la réalité, l’imprévu, le non-maitrisable .et même d’annuler la parole elle-même qui nous tyrannise : un véritable délire de masse. Nous avons peut-être à réfléchir sérieusement sur le fait que ce sont les tenants de cette idéologie qui détiennent les Réseaux Sociaux !

    Le discours de la science relaie alors le discours de la religion telle que l’avait annoncé
    J.Lacan dans son enseignements sur les quatre discours 17
  • Organisation d’un clivage contre-productif qui sous couvert de nous protéger de notre vulnérabilité, de notre impuissance , du constat de nos limites nous coupe des ressources pour faire face aux désastres ( bon objet : la science / mauvais objet : la nature ou bon objet : la nature idéalisé/ mauvais objet : l’humain cruel )
    Grâce à la technologie la mauvaise mère nature devient une bonne mère sous contrôle.

    La psychanalyse ne propose pas de solutions comportementales , mais d’accompagner un retournement dans une lucidité sur nous-mêmes
  • sevrer la technologie et nous sevrer de la technologie pour accepter la nature , notre angoisse, notre fragilité .
  • reconnaitre nos pulsions de mort / désir de mort sur la nature, sur les générations suivantes . en tenir compte en intégrant notre négativité .
  • intégrer la perte de l’immédiateté , de la jouissance totale
  • reconnaitre le manque comme constitutif de notre condition humaine parlante « le parlêtre » lacanien ( l’existence de l’humain passe par la parole -une parole reçue et à laquelle il est nécessaire d’accéder par un travail ).18

C’est la castration symboligène qui n’est pas un travail comportemental par la frustration , la contrainte mais une reconnaissance et une acceptation du « ce n’est pas possible car ça n’existe pas » :la totalité, la fusion, un mondes sans limite, un lieu de totale liberté ( sous peine de la levée des inhibitions morales et la place donnée au meurtre ,s sadisme – cf. harcèlement, perversion qui s’étend aujourd’hui etc. )

  • renoncer au tout d’une jouissance non bornée , non limitée, non orientée , pour désirer .
    La jouissance est mortifère ( pour Lacan c’est la pulsion de mort ). La jouissance à différencier du plaisir. En ce sens , le processus de la cure est de lier les pulsions au désir . C’est l’amour qui est la solution. Un amour à construire en intégrant l’altérité radicale de l’autre . C’est là que nous pouvons retrouver impulsion et sens à agir pour participer à un monde plus aimant.
  • choisir la pulsion de vie, la désir, la satisfaction non totale
  • il est permis de ne pas jouir : en opposition au surmoi contemporain « jouis sans entrave « consomme cela te rendra heureux ! quitter la position de conquête, de consommateur pour devenir citoyen et participant.

La sortie de crise est une sortie du déni

La possibilité de sortir de l’abattement, de la sidération , de l’addiction à l’excitation constante qui crée en même temps une apathie pour un mouvement de vie passe par l’acceptation individuelle de l’impossible, du pas-tout, de la castration .
Un travail de lucidité qui s’ouvre à nous en tant que praticien et que nous pouvons témoigner par notre présence engagée dans ce processus »- nous sommes toujours des analysants à nos patients . ( cf. l’exigence de formation continue, de supervision dans les 5 critères du SNPpsy)

Accepter notre petitesse, notre finitude, vulnérabilité, notre état d‘être parlant donc manquant puisqu’à jamais séparé du grand Tout , de l’Absolu en reconnaissant l’autonomie du vivant, de la nature , son étrangeté , sa radicale altérité est le chemin d’une humanité consciente et active pour restaurer les dégâts déjà faits en coopérant avec les générations futures .Réparer le monde devient envisageable en s’y mettant à plusieurs , chacun là ou il est . Faire sa part ni plus, ni moins . 19

L’Espérance20

Dans la confrontation lucide à la possibilité d’un effondrement peut émerger l’espérance

A différencier de l’espoir, vœu de voir se réaliser des vœux personnels à court terme empreints plus ou moins de phantasmes, de leurre.

L’espérance concerne le long terme , n’est pas personnel. il est en dépit des malheurs . Permet de lire dans le chaos du présent des signes avant-coureurs qui ouvrent des perspectives et de reconnaître et de pouvoir recevoir l’extraordinaire précieux de la vie donnée .Elle suppose d’avoir abandonné tous espoirs , toutes illusions , toutes projections . C’est une connaissance de la réalité , de la gravité de la situation , une sortie du déni.

C’est un abandon d’une crispation sur soi , un désespoir surmonté qui rouvrent les possibles


Dans ce contexte, le cabinet du psy apparait comme un espace ressource où être entendu sans jugement, où chacun peut adresser sa parole à un autre qui s’y prête . Le processus de transformation inhérent à la situation peut y être soutenu . C’est un espace-temps différent qui permet de faire une pause, de prendre du recul , de différer la réactivité pulsionnelle et favoriser la recherche de solutions adaptées au sujet qui parle . C’est un espace pour penser ensemble ce qui est impensable, incompréhensible, inenvisageable .C’est le lieu d’ une alliance féconde entre intérieur et extérieur-Masculin/féminin.


1 Un monde sans limite – Jean-Pierre LEBRUN Ed ERES / L’homme sans gravité Charles Melman-Ed Poche 2 Les émotions contre la démocratie- Eva ILLOUZ- Ed Premier parallèle / Il faut voir comment on se parle – Gerald Garutti- Ed Actes Sud

3 Malaise dans la culture – Freud Ed PUF
4 L’environnement humain et non-humain-Harold Searles-Ed Gallimard

5 Changeons de voie – Edgar Morin Ed Denoël
6 Comprendre le dernier rapport du GIEC sur www.greenpeace.org

7 Eco-Anxiété-Yvan Marc Julliard – Ed La Plage
8 Solastalgia – Glenn Albrecht – Revue Nature N°3 2005/ Ce mal du pays sans exil – Baptiste Morizot- Revue Critique N ° 860-861-2010
9 A chacun son cerveau – François Ansermet-Pierre Magistratti -Ed Odile Jacob
10 Pourquoi nous voulons tuer Greta ?Benedicte Vidaillet- Ed Eres 11 Cf note 4
12 Cf note 4
13 Cf note 4

14 La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques . D.W. Winnicott-Ed Nrf
15 Cf également la crainte de l’effondrement note 14
16 Cf note 10

17 L’envers de la psychanalyse – J Lacan Ed du Piranha
18 La condition du parlêtre – Jean-Paul Hiltenbrand-Ed Eres

19 Reparons le monde – Corine Pelluchon – Ed Rivages
20 L’espérance ou la traversée de l’impossible – Corine Pelluchon -Ed Rivages / L’espérance en mouvement – Joanna Macy et Chis Johnstone – Ed Labor et Fides


Biblio rencontre SNPpsy 25 /03/2023 Traverser les bouleversements du monde

Sociologie
Jean VIARD Un juste regard analyse de la crise Covid 19–Ed L’Aube
Eddy FOUGIER – Dossier Eco-anxiété ? analyse d‘une angoisse contemporaine . Fondation Jean Jaurès
Hors-série l’OBS – Penser l’écologie – news letter ecolobs
Georges MARSHALL- Le syndrome de l’autruche . pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique ? Ed Actes Sud
Eva ILLOUZ– les émotions contre la démocratie
Edgar MORIN – Changeons de voie – Ed Denoël

Philosophie :

Corine PELLUCHON – L’espérance ou la traversée de l’impossible -Ed Rivages
Réparons le monde -Ed Rivages
Gerald GARUTTI – Il fait voir comment on se parle -Ed Actes Sud
Baptiste MORIZOT- Raviver les braises du vivant Ed Actes Sud

Histoire /Recherche

David REYBROUK – Nous colonisons l’avenir- Ed Actes Sud
François TERASSON–La peur de la nature Ed Sang de la Terre
Manuel sur les droits de l’homme et l’environnement –Ed du Conseil de l’Europe 2006-2012

Psychologie positive – neurocognitive

Yvan Marc JULLIARD -Eco-Anxiété-Comment meix gérer les émotions en lien avec le dérèglement climatique . Ed La Plage
Joanna MACY et Chris JOHNSTONE – L’Espérance en mouvement -Ed Labor et Fides
Glenn ALBRECHT-Les émotions de la Terre :des nouveaux mots pour un nouveau monde . Ed Les liens qui libèrent

Psychanalyse :

Benedicte VIDAILLET- pourquoi nous voulons tuer Greta ? Ed Eres
Psychanalystes en temps de catastrophes et mutations sociales – Revue Le Coq Héron Avril 2023 – Ed Eres
Freud – Malaise dans la culture – Ed Puf – L’avenir d’une illusion -Ed Puf – Inhibition ,symptôme et angoisse

Jacques LACAN – Télévision – Ed Seuil
-L’angoisse -Ed Seuil
Luc MAGNERAT – La crise environnementale sur le divan -Ed In Press
Harold SEARLES L’environnement non-humain Ed Gallimard
Harold Searles par Victor SOUFFRIR Ed Puf – extrait sur Cairn.org
Charles NAHOUN-L ’environnement non-humain, vers une nouvelle théorie psychanalytique -Revue L’année psychologique 1966 Ed Persée
Luc DEMAILLY – Malaise dans la civilisation et dans la psychanalyse :la question de la nature . Revue le Coq Héron N° 242- 2020
Mélanie KLEIN– Envie et gratitude et autres essais – Ed Gallimard
L’amour et la haine – le besoin de réparation – Ed Payot

François ANSERMET- Neurosciences et psychanalyse – Ed Odile Jacob
D.W.WINICOTT- La crainte de l’effondrement – Ed Nrf
Jean-Pierre LEBRUN – UN monde sans limite- Ed Eres
Charles MELMAN – L’homme sans gravité -Ed ERES
Tom BERRYMAN- L’Eco ontogenèse : les relations l’environnement dans le développement humain . www.journals.openedition.org
Nanao SAKAKI- Comment vivre sur la planère terre -Ed PO&PSY -ERES





Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *